l’Humanité
Jeudi 10 Mai 2001
Vous venez de décider de porter l’affaire de l’assassinat de votre mari en justice : une éventualité que vous envisagiez depuis quelque temps, comme vous le confiez il y a quelques jours à l’Humanité. Qu’est-ce qui vous a décidée ?
Josette Audin. Je suis toujours à la recherche de la vérité sur la mort de Maurice, je veux savoir ce qu’il est précisément devenu, je veux connaître toutes les circonstances de son assassinat et qui en porte la responsabilité. Je veux que la justice de mon pays sanctionne ce crime, puisque c’est encore possible. Cette question me hante depuis le jour où il a été arrêté à la maison et emmené par les paras, depuis qu’il n’est jamais revenu. Car, plus de quarante ans après, on ne sait toujours rien, on continue de dire officiellement qu’il s’est évadé, et c’est terrible d’avoir à vivre avec ça. J’ai le droit de savoir, j’ai le devoir d’obtenir que la vérité lui soit rendue. Je le dois à sa mémoire. Or cette vérité m’a jusqu’ici été refusée, comme elle l’a été à beaucoup d’autres victimes des exactions commises durant cette guerre. En 1962, la justice avait conclu à un non-lieu. Les avocats que j’ai consultés depuis, pour donner une suite judiciaire à l’affaire de mon mari, avaient fini par me convaincre que je ne pouvais rien faire notamment à cause de la loi d’amnistie. Aujourd’hui, pourtant, l’opinion française est en train d’évoluer : de plus en plus de Français, parmi la jeune génération notamment, manifestent leur désir de connaître la vérité. Il y a une grande émotion autour de la publication des aveux d’Aussaresses. Je me sens en phase avec tous ces gens qui ne supportent pas ces quarante années de silence et de mensonge : c’est pourquoi j’ai décidé de porter plainte contre X avec mon amie Nicole Dreyfus.
Aussaresses, s’il reconnaît et se vante dans son livre d’un certain nombre d’autres assassinats, ne dit toujours rien savoir sur la disparition de Maurice Audin…
Josette Audin. Précisément, s’il continue de ne rien dire sur Maurice, alors qu’il était de par sa fonction au courant de tout, il confirme aussi qu’il connaissait bien trois personnages qui sont directement impliqués dans l’arrestation de Maurice et sa prétendue évasion. Je conclus que c’est parce qu’il tient à protéger par son silence certaines personnes impliquées dans la mort de Maurice qu’il en reste au même mensonge. À l’évidence, il n’est pas le seul à cacher la vérité : tout le monde ment et tout le monde ment depuis le début. C’est pourquoi nous portons plainte contre X.
Vous pensez que, devant la justice, des gens vont parler ?
Josette Audin. C’est notre souhait. J’espère que dans ces conditions certains vont comprendre qu’ils ne peuvent plus continuer à dissimuler la vérité. J’imagine aussi qu’une instruction bien menée, qui ait accès à toutes les pièces et sollicite beaucoup de témoignages peut grandement contribuer à faire la clarté.
Vous êtes signataires de l’Appel des douze pour que la France reconnaisse et condamne officiellement l’usage de la torture. Ce combat continue pour vous ?
Josette Audin. Naturellement. J’attends toujours des dirigeants politiques d’aujourd’hui qu’ils prennent leurs responsabilités à l’égard des choix faits à l’époque par leurs prédécesseurs. Saisir la justice comme je le fais – ce que feront peut-être aussi d’autres personnes à propos de cas précis – est une chose, mais les Français attendent toujours une prise de position publique de leurs premiers dirigeants.
Entretien réalisé par Lucien Degoy