Événement du 17 Octobre 2021 [photos / invitation]

par Ajma

Discours de Fatiha Hassanine durant l'inauguration de la rue Josette et Maurice Audin à Nanterre :

Bonjour à tous,
Je voudrais remercier, au nom de l’Association Josette & Maurice AUDIN, Monsieur Patrick Jarry, maire de Nanterre, le conseil municipal et l’équipe qui, à la mairie, a préparé cet évènement, ainsi que le comité local du Mouvement contre le Racisme et l’Amitié entre les Peuples et la section locale de la Ligue de Droits de l’Homme qui en ont porté le projet. Je remercie également tous ceux qui se sont battus pour que cette rue soit inaugurée aujourd’hui dans la ville de Nanterre, ville où l’histoire de la ville est liée avec celle de l’Algérie, notamment en cet anniversaire du 17 Octobre 61. Ses citoyens Nanterriennes et Nanterriens, ont vu évoquer le nom de leur ville sans cesse, dans l’histoire de la France avec l’Algérie. Une reconnaissance historique et exemplaire.

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Alger 1957
Le général Massu reçoit, au mois de janvier, les pleins pouvoirs des mains du chef du gouvernement français, Guy Mollet. Il devient ainsi le chef suprême de la zone d’Alger Josette et Maurice Audin, communistes et militants anticolonialistes tous les deux travaillent à la faculté d’Alger, soutiennent les résistants et hébergent… Josette et Maurice partagent le même amour de l’Algérie, de ses peuples et de ses traditions, le même rejet du colonialisme, la même conviction que les Algériens ont droit à la dignité et à l’autodétermination. Ils ont 25 et 26 ans.

Mardi 11 Juin 1957
« Il est 23 heures. Nos enfants – le plus jeune, Pierre, a un mois – sont à peine couchés lorsque les « paras » viennent frapper à la porte. J’ai la naïveté de leur ouvrir, sachant très bien, en réalité, ce qu’une visite aussi tardive peut signifier…Ces hommes venus prendre mon mari me diront en partant : « S’il est raisonnable, il sera là dans une heure »…Il n’a pas dû l’être, raisonnable, car je ne l’ai jamais revu ». Les militaires campent dans l’appartement pendant 4 jours, Josette reste seule avec eux, et son mari ne revient pas… 4 jours avec ses 3 enfants en bas âge et ces militaires qui occupaient les lieux certainement avec une certaine arrogance surveillant tous ses faits et gestes. Elle cherche à savoir ce qu’est devenu son mari, attend des heures dans les salles d’attente avec dans les bras ses enfants.
Le 21 juin, on l’informe que son mari s’est évadé. Elle n’y croit pas du tout et porte plainte à Alger pour « enlèvement » Elle porte plainte, se retrouve face aux juges de la colonisation, des hommes qui défendaient leurs homologues colonisateurs, et ne se sont jamais penchés sur la vie de cette femme et ses 3 enfants. Pierre Vidal Naquet dénonce et fait parler de l’affaire en France, des avocats se relayent pour la défendre, Laurent Schwartz fait soutenir la thèse de Maurice Audin “In absentia” à Paris en décembre 1957. Le Comité AUDIN (dont fera partie Josette Audin) est créé, des publications, des écrits font connaitre l’histoire de Maurice AUDIN en France.
La Justice prononce des non-lieux à toutes les plaintes déposées par Josette AUDIN, mais, malgré les grands moments de solitude elle travaille, élève seule ses enfants, continue à se battre pour connaitre la vérité et retrouver le corps de son mari. Elle quitte l’Algérie en 1966 en passant par le Maroc, l’Espagne dans une voiture, avec ses 3 enfants et dit « J’ai pris les choses importantes, les livres et les photos ». Ces livres, ces photos notamment de Maurice Audin avec ses enfants, nous les avons vus lors des différentes interviews de Josette.

Elle ouvrait les chemises où étaient rangés avec minutie, les plaintes, les documents et tous les journaux qui avaient évoqué l’affaire AUDIN sous le regard du beau jeune homme qui habite aussi cet appartement, ce regard qui approuve la détermination de Josette Audin. Elle a traversé le temps, veuve si jeune ; à 26 ans, la vie est devant nous… Discrète et imposante, elle enseigne les mathématiques, « L’Amour des Maths, c’est une histoire de famille. » Elle a continué à faire vivre Maurice AUDIN, « Il n’y aurait pas d’affaire AUDIN, sans Josette AUDIN », disait sa fille Michèle.

Et pourtant, elle a vécu des passages à vide. Des décennies sans que l’affaire Audin ne soit évoquée, jusqu’au jour où le général borgne, fait des confessions publiques en 2001. Révoltée à nouveau, elle porte plainte pour « séquestration » Cela va durer 61 années, et Josette AUDIN continue à se battre, écrivant à tous les présidents de la République sans réponse et enfin, la visite d’Emmanuel Macron à son domicile le 13 septembre 2018. « Quand il y a des gens comme Josette qui se battent pendant des décennies, sans rien lâcher, çà oblige » a dit Emmanuel Macron quand il lui a rendu visite le 13 Septembre 2018 pour lui demander pardon et pour lui apporter le message que les archives seront ouvertes pour connaitre la vérité, sur les exactions qui ont eu lieu en Algérie, enfin on va peut-être savoir… Cela n’a pas duré longtemps cette “embellie” de l’histoire car en Décembre 2018, de nouveau les archives sont fermées avec encore plus de contraintes.

Elle a réussi à rendre Maurice Audin, son mari, immortel, sa détermination et son courage imposent le Respect et l’Estime. Josette est partie rejoindre Maurice, le beau jeune homme brun aux yeux orientaux et à la chevelure brune dont les photos trônaient dans sa maison, le 2 février 2019. Le mois de Février est historique dans la famille, Josette est née le 15 Février, Maurice le 14 Février et elle est décédée le 2 février. “Mon mari s’appelait Maurice Audin. Pour moi il s’appelle toujours ainsi, au présent, puisqu’il reste entre la vie et la mort qui ne m’a jamais été signifiée. » écrivait Josette Audin, en 2007 à Nicolas Sarkozy.

« L’Algérie entière, peuple et gouvernants, ne peut que se renforcer et se grandir en jetant un regard de franchise et d’équité sur son passé, sur les hommes et les femmes qui ont subi les ténèbres pour faire émerger leurs compatriotes à la lumière ». disait Sadek Hadjerès. Responsable du Parti Communiste algérien. Josette Audin est un exemple pour les femmes algériennes qui ont cherché leurs maris, leurs frères, leurs pères, en Algérie mais aussi après le massacre du 17 Octobre 61 ici même, à Nanterre et dans la région parisienne. Combien de femmes n’ont jamais eu de nouvelles de leurs maris, veuves aussi très jeunes, et qui cherchent encore à ce jour à avoir des informations ? Elles aussi, à Paris ont porté plainte, ont cherché dans les hôpitaux, dans les prisons et beaucoup n’ont jamais su. En 2011, il y avait au cimetière de Thiais une quarantaine de tombes anonymes datant du 17 Octobre 61, des algériens enterrés à la hâte.
Josette AUDIN, pour toutes ces femmes est un exemple de fidélité, de courage, de ténacité, de mère, d’épouse, de femme. L’insoumission, l’indocilité plutôt, le combat de Josette Audin, exemplaire, lui survivra. Nous y veillerons. Je voudrais terminer en associant cet hommage à des extraits d’un texte de Jean Amrouche, fervent défenseur de la cause algérienne, journaliste, homme de radio, et homme de lettres qui a tenu une conférence sur Maurice AUDIN, on ne sait pas exactement où, certainement en dehors de la France, puisque lui-même a été « viré »de la radio par Michel Debré en 1959 alors qu’il servait d’intermédiaire entre le FLN et le Général de Gaulle.

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Je remercie Pierre Amrouche qui a retrouvé ce texte et qui nous l’a donné. 10 Décembre 1959 « Je prends la parole ce soir devant vous, et avec vous ; je joins ma voix aux millions de voix qui s’élèvent, pour protester contre un crime horriblement exemplaire, et pour exiger que justice soit faite. Je ne suis pas ici en tant qu’Algérien, ou en tant que Français, mais en tant qu’homme, car le fait d’être un homme, de se vouloir homme, doit primer toute considération d’appartenance nationale ou politique. Certes, comme Algérien, j’ai le devoir de reconnaître et de proclamer que Maurice Audin est mort pour la liberté, pour la dignité, et pour l’indépendance du peuple algérien.

De dire que le sacrifice de Maurice Audin engage le peuple algérien à faire figurer son nom parmi ceux des héros qui sont morts pour lui, à honorer sa mémoire et à reporter sur sa femme et sur ses enfants les effets de la dette sacrée qu’il a contractée à l’égard de Maurice Audin… …Non, dans la personne de Maurice Audin, c’est l’homme même et les exceptionnelles vertus morales, les qualités souveraines de l’esprit qu’il incarnait, que ses bourreaux ont voulu humilier et réduire. C’est la part la plus précieuse de l’homme, celle qui fait que, selon le mot de Pascal, l’homme passe infiniment l’homme, la part divine de l’homme, qui était visée et niée par les tortionnaires et par les assassins de Maurice Audin… …Avouons que c’était plus qu’ils ne pouvaient tolérer : ce témoin vivant de l’honneur d’être un comme, il fallait, par le mouvement d’une affreuse logique, qu’il disparaisse. Car ils ne pouvaient escompter ni son ralliement, ni sa complicité, ni son silence. Son existence à elle seule portait une terrible accusation contre eux, et contre le système dont ils étaient et demeurent les instruments…Attester que l’homme a droit au respect, à la dignité, à la culture, au pain, qu’il a droit à une patrie, dans un pays où ces droits élémentaires sont refusés à un peuple depuis 130 ans, c’était bien plus que ne pouvaient supporter le colonialisme aux abois et ses chiens savants et féroces.

La cause de Maurice Audin, c’était bien, par-delà toute cause nationale et politique, et transcendante à ces dernières, la cause de l’homme, qui proclame que le droit à l’honneur d’être homme est un droit naturel, inconditionnel, et imprescriptible. Voilà pourquoi le crime fut horriblement exemplaire : un attentat contre l’homme, contre cela qui dans l’homme appartient à chacun et à tous, contre l’honneur de l’espèce humaine toute entière.

C’est pourquoi, devant vous, et avec vous, je crie ici justice pour l’homme, au nom de l’homme. »

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L’association Josette et Maurice Audin poursuivra son combat pour que tous ceux, français et algériens, qui furent comme Maurice Audin, victimes de ce système politique, torturés et assassinés, soient identifiés et reconnus et que leurs corps puissent être retrouvés.
Nous demandons l’ouverture des archives qui ont été de nouveau fermées après la communication du Président de la République afin que les historiens, les chercheurs puissent mener à bien leurs travaux, et que la vérité puisse être connue.
Nous demandons une déclaration forte de la France sur la colonisation de l’Algérie et sur les crimes et injustices qu’elle a fait subir au peuple algérien.
Josette et Maurice Audin rêvaient d’une Algérie indépendante, démocratique, laïque ainsi l’Association Josette & Maurice AUDIN, est solidaire des combats du peuple algérien.

Fatiha Hassanine
Le 17 Octobre 2021

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