Documents « Le combat de Josette »

par Ajma

Dans Paris-Match

L’affaire Audin

Josette, la femme du professeur disparu, demande la vérité. Lacoste répond : « Bientôt»
Article de Paris-Match paru le 21 décembre 1957 

Elle a vingt-quatre ans. Elle est pâle, menue au milieu de ses grands cheveux noirs négligés. Son regard fixe appartient à un autre monde. Josette Audin depuis un mois n’a plus d’espoir. Elle est là, dans le cabinet aux lignes modernes de René Billères, ministre de l’Education nationale, à côté d’une Minerve de marbre, pour demander la vérité. Pour demander aussi comment vont vivre ses trois enfants (Michèle, trois ans, Louis, deux ans, Pierre, six mois).

Son mari, Maurice Audin, vingt-cinq ans, chargé de cours à la Faculté de Sciences d’Alger, a disparu. Membre du parti communiste algérien (parti clandestin) il a été arrêté le 11 juin dernier à son domicile d’Alger, un H.L.M. du boulevard Flaubert, par les forces armées. Il détenait le secret des cachettes de deux dirigeants du parti, Caballero et Moine. Mme Audin fut gardée à vue chez elle pendant quatre jours.

Puis chaque soir elle alla ponctuellement s’asseoir à 19 heures dans le même fauteuil de cuir rouge du hall de l’hôtel Aletti. Elle ne disait pas un mot. Elle attendait que les avocats parisiens de passage à Alger – à qui un règlement de police interdit de donner leurs consultations autre part que dans le hall – viennent à elle.

Deux thèses s’affrontent. Selon celle d’Alger, il s’est évadé le 21 juin au cours d’un transfert. Selon celle des amis de Maurice Audin et de son avocat, Me Borker, il a succombé à un interrogatoire brutal.

L’Université est très émue de ce mystère. Le 2 décembre, en Sorbonne, le professeur de Possel, « patron » d’Audin présentait devant un jury présidé par le professeur Favart la thèse en doctorat de son élève. Maurice Audin, un des mathématiciens les plus brillants de sa génération, était proclamé docteur ès sciences mathématiques « in absentia » pour sa thèse, « Les équations linéaires dans un espace vectoriel », terminée juste avant son arrestation. Mais le professeur Favart s’adressant au public qui avait envahi l’amphithéâtre, dit : « Je vous demande de ne pas applaudir mais d’observer une minute de silence. » Josette Audin ne pleura pas. Elle était par-delà les larmes.

Ancien universitaire, chef de l’Université, René Billères est lui aussi très ému. Il rassure la jeune femme au regard perdu qui est venue se confier à lui.

Depuis, deux faits nouveaux :

– Le traitement de son mari sera intégralement versé à Mme Audin. Pour cela, il a fallu convaincre l’administration que le chargé de cours Audin était « mis en disponibilité ».

– Quant à la vérité, c’est Robert Lacoste lui-même qui a répondu. Au banquet mensuel des directeurs de quotidiens de province où il était « l’invité du mois », il a annoncé la publication incessante du fameux rapport de la Commission de Sauvegarde des droits et libertés individuelles. Celui- ci comporte tout un chapitre sur « l’affaire Audin ».