A l’initiative de Pierre Mansat, la Ville de Paris a réalisé un cénotaphe (monument funéraire ne renfermant pas de dépouille) au cimetière parisien du Père Lachaise.
Seul monument en France élevé à la mémoire d’un combattant de l’indépendance de l’Algérie, il est situé dans la 76ème division de l’avenue circulaire, près du mur des Fédérés. Il a été inauguré le 11 juin 2019.
Allocution de Pierrre Mansat, président de l’association Josette et Maurice Audin
Qu’il est long le temps de la vérité dans notre pays !
Plus exactement qu’il est long le temps de la reconnaissance de la vérité dans notre pays,surtout quand cette vérité est celle de la réalité des crimes d’État ou des crimes de la France coloniale.
Pour Maurice Audin, une vérité connue dès 1957.
N’est-ce pas Michèle, Pierre et vous toutes et tous, chère famille Audin, qu’il est long le temps de la reconnaissance de la vérité !
Qu’il a été long le chemin de Josette Audin !
Qu’il a été long le chemin de Josette: 61 ans 7 mois et 3 semaines, pour, comme l’a dit Pierre Audin dans l’Humanité pendant lesquelles « elle a lutté pour Maurice Audin, souvent seule ou peu accompagnée, d’abord pour essayer de le retrouver, ensuite pour faire condamner les coupables, et finalement, seulement pour savoir et faire savoir la vérité ».
Il a fallu plus de 61 années pour que l’État français par la voix de son président de la République reconnaisse que Maurice Audin a été enlevé, torturé, assassiné par des militaires français qui ont fait disparaître son corps et on mis au point un mensonge, devenu mensonge d’Etat.
Plus de 61 années pour que l’État français reconnaisse que cet assassinat a été possible parce que tous les pouvoirs avaient été donnés à l’armée par l’Assemblée nationale française, et que la torture était un système généralisé, accepté, assumé, justifié par les plus hautes autorités de l’État.
C’est pour cela qu’aujourd’hui, jour anniversaire de son enlèvement par les parachutistes, nous nous retrouvons pour rendre hommage à Maurice Audin, le militant de l’indépendance de l’Algérie, membre du parti communiste algérien auquel il avait adhéré en 1951, suivant en cela Josette qui avait rejoint le PCA en 1950. Maurice qui comme le résume Michèle dans son livre bouleversant « Une vie brève » «diffusait la presse communiste, s’occupait de la sécurité des militants passés à la clandestinité, leur procurant des faux papier, les transportant d’une planque à l’autre...». «Son terrain d’action était «politique et propagande».
Et indissociablement hommage à Josette Audin.
C’est une formule sans doute un peu convenue, Josette dont le courage, la détermination forcent l’admiration générale. Je pense à l’ovation qui a marquée sa participation a la dernière fête de l’Humanité. Josette dont on sait que, alors qu’elle était à la recherche de Maurice, elle apportait son soutien aux familles de prisonniers.
Josette au sourire si doux qui n’a jamais renoncé.
Et cette cérémonie permet d’évoquer ceux qui ont refusé le mensonge d’État et qui pendant des décennies ont porté, avec plus ou moins d’intensité, ce combat.
D’où l’importance de les nommer en ce lieu, qu’ils soient disparus ou parmi nous. Une nécessité car cette histoire récente a laissé peu de traces.
Dés 1957 les intellectuels du Comité Audin, avec cette singularité, en pleine guerre froide, de la rencontre de personnes d’opinions politiques très différentes: Laurent Schwartz, Albert Chatelet, Pierre Vidal-Naquet, mais aussi Madeleine Reberioux, Marianne Debouzy …
François Mauriac assistera à la soutenance de thèse organisée à la Sorbonne.
Les membres du jury qui décernèrent le prix Maurice Audin de mathématiques à plusieurs reprises.
Les avocats Jules Borker, Pierre Braun, Nicole Dreyfus, Arnaud Lyon-Caen, Roland Rappaport Claire Hocquet.
Les journalistes, journaux et médias: Madeleine Riffaud, André Maurois, Jean Daniel, Florence Beaugé, Charles Silvestre, Nathalie Funès, Maud Vergnol, Rosa Moussaoui, Hassan Zérouki. Et donc l’Humanité, La Télé Libre, France 24, l’Obs, Le Monde, Mediapart, Politis…..
Les éditeurs: Jérôme Lindon, Nils Anderson et les créateurs: Ernest Pignon-Ernest, François Demerliac.
Les historiennes/historiens: Sylvie Thénault, Raphaëlle Branche, Benjamin Stora, Gilles Manceron…
Les DOUZE de l’appel pour la dénonciation de l’usage de la torture pendant la guerre d’Algérie publié dans L’Humanité en octobre 2000, dont ceux que je n’ai pas encore cité, aux cotés de Josette: Henri Alleg bien sur, Simone de Bollardière, Noël Favrelière, Gisèle Halimi, Alban Liechti, Germaine Tillion, Jean-Pierre Vernant.
Les moins connus, les élus de 25 communes de France qui ont donné le nom de Maurice Audin à des espaces publics, rues, places, espaces verts, esplanades, écoles.
Deux mathématiciens: François Nadiras, et Gérard Tronel, qui a cofondé l’association et qui a relancé avec une formidable énergie un prix Audin de mathématiques, partagé entre algériens et français. Les membres du jury et les Sociétés savantes qui l’ont soutenu SMF et SMAI. L’institut Poincaré, Michel Broué et Sylvie Benzoni.
Les Algériens Hafid Aourag, Hacène Belbachir, Abdelkader Bouyakoub.
Les députés Sebastien Jumel et Cédric Villani- qui fut président du jury.
Des militants politiques, syndicaux, associatifs. Ceux du PCF, du MRAP, de la LDH, du Secours Populaire….
Et aussi Sylvain Fort et Sophie Wallon, collaborateurs du Président de la République.
C’est ainsi qu’après la dispersion de cendres de Josette nous inaugurons ce cénotaphe dédié à Maurice Audin.
Un geste d’une formidable puissance symbolique.
Privé de sépulture Maurice Audin a ainsi un monument, pour toujours dans la mémoire des hommes.
Dans cette division 76 du Père Lachaise ou reposent tant d’héroïnes et de héros des combats pour la liberté.
Près du Mur des Fédérés, des monuments aux déportés des camps d’extermination nazis, du monument aux FTP-MOI, des tombes de Paul Eluard, de Jean-Baptiste Clément, l’auteur du Temps des Cerises.
Un monument sur lequel la vérité est gravée dans le marbre et qui résonne comme un appel, une injonction à poursuivre les combats de la liberté et de la fraternité. Le combat contre toutes les oppressions et pour la liberté des peuples
Une vérité inscrite dans la carte de l’Algérie, le pays pour l’indépendance duquel Maurice Audin est mort.
La mairie de Paris a repris notre proposition d’ériger une stèle commémorative au cimetière en nous faisant la suggestion de réaliser un cénotaphe.
Cette décision a été voté à l’unanimité du Conseil de Paris, et je veux en remercier la municipalité, les élus parisiens qui inscrivent ainsi pour la seconde fois Maurice Audin dans la mémoire parisienne.
Merci également aux conservatrices du cimetière qui ont proposé cet emplacement.
En inaugurant ce monument comment ne pas penser au mouvement populaire algérien pour qui la place Maurice Audin à Alger est devenue la place de la liberté.
Comment ne pas chavirer d’émotion en voyant le visage de Maurice Audin, sur la fresque qui lui est dédiée, encadré de centaines de post-it ou s’inscrivent les exigences populaires.
L’association s’appuyant sur ce geste symbolique très fort s’engage à poursuivre l’action pour connaître les conditions concrètes de l’assassinat de Maurice Audin et le lieu où il a été enterré – même si c’est très difficile – à contribuer à activer l’appel aux témoignages et à l’ouverture des archives personnelles lancé par le président.
S’engage à poursuivre son action pour la reconnaissance des crimes de la puissance coloniale, et la vérité pour des milliers d’autres Algériens disparus dans les mêmes conditions.
Elle le fait à travers la création du site « 1000 autres.org« , une initiative conjointe avec le site «histoire coloniale», qui a un retentissement certain en Algérie.
Et je l’évoquais au début de cette allocution, également dans le cadre du collectif «Secret défense». Un Secret qui sert bien à camoufler les crimes d’État (je pense par exemple à Medhi Ben Barka). Un combat d’actualité comme le prouve la convocation par la police de journalistes au nom de ce même «secret défense».
Ce monument concrétise une avancée importante sur le chemin de la vérité.
Des initiatives et des actions fleurissent: le nom de Josette et Maurice va être attribué à un collège de Vitry, un espace vert sera inauguré le 6 juillet à Aubervilliers, une campagne commence à Bagnolet et Toulouse. Un ouvrage collectif est en préparation à la Fondation Varenne.
Mais nous ne sommes pas au bout du combat, une porte s’est entrouverte, il faut maintenant donner un coup d’épaule pour l’ouvrir en grand.
Alors rejoignez-nous pour le mener ensemble.