L’Humanité

par Ajma

Affaire Audin. Un long combat d’Humanité

Mercredi 12 Septembre 2018
Rosa Moussaoui

Dès le 15 juin 1957, quelques jours après l’arrestation de Maurice Audin, l’Humanité se saisit de l’affaire. Aux côtés de sa famille, notre journal exige inlassablement, depuis plus de soixante ans, justice et vérité.

Il lève les yeux au ciel, regard espiègle et cheveux en bataille. Dans les mains, il tient un journal, on n’en distingue pas le titre ; c’est l’Humanité. L’heureuse insouciance de cette photographie accompagne, depuis plus de soixante ans, le combat sans relâche mené par notre titre, aux côtés de sa famille et de sa veuve, Josette Audin, pour exiger justice et vérité sur l’assassinat de Maurice Audin. Quelques jours seulement après son arrestation le 11 juin 1957, l’Humanité se saisit de l’affaire, ce qui lui vaut d’être censurée à maintes reprises par les autorités françaises. Le 30 juin 1957, le journal publie la plainte pour torture adressée au procureur général d’Alger par Henri Alleg, directeur du quotidien Alger républicain, interdit depuis septembre 1955. Alleg est alors interné au camp de Lodi. L’article est en fait une première version de la Question. Il est précédé d’une présentation du dirigeant communiste Léon Feix, sous forme de lettre ouverte au garde des Sceaux, Maurice Bourgès-Maunoury. « Qu’est devenu Maurice Audin ? » demande-t-il, en évoquant aussi les assassinats de Me Ali Boumendjel, de Raymonde Peschard et de Larbi Ben Mhidi, ainsi que le sort des condamnés à mort. « Il n’y a jamais eu en Algérie autant de tortures, de “disparitions”, d’exécutions sommaires », dénonce Feix. Cette édition de l’Humanité est saisie mais les militants communistes s’organisent pour en sauver des exemplaires du pilon et les diffuser clandestinement. Jusqu’en 1962, d’innombrables articles, enquêtes, appels d’intellectuels évoquant l’affaire Audin sont frappés de censure. 

« Le silence officiel serait ajouter au crime de l’époque une faute d’aujourd’hui »

Après l’indépendance de l’Algérie, l’Humanité n’a jamais tourné la page. Au tournant des années 2000, lorsque le témoignage de Louisette Ighilahriz, dans les colonnes du Monde, relance le débat sur les atroces pratiques de l’armée française en Algérie, le journal lance un appel de douze personnalités qui demandent à Jacques Chirac et Lionel Jospin de condamner la torture pratiquée par la France en Algérie. « Des deux côtés de la Méditerranée, la mémoire française et la mémoire algérienne resteront hantées par les horreurs qui ont marqué la guerre d’Algérie tant que la vérité n’aura pas été dite et reconnue (…). Le silence officiel serait ajouter au crime de l’époque une faute d’aujourd’hui », écrivent les signataires (1). Parmi eux, l’historien Pierre Vidal Naquet, qui réfuta point par point, dès le mois de mai 1958, dans l’Affaire Audin, une implacable enquête publiée aux Éditions de Minuit, la fable de « l’évasion » du jeune mathématicien. L’Appel des douze, la publication dans la presse française de témoignages de personnes torturées ébranlent les consciences et suscitent de vifs débats. Le général Aussaresses avoue « sans regrets ni remords », dans le Monde, avoir torturé pendant la guerre d’Algérie. Jacques Massu, interrogé dans les mêmes colonnes sur l’affaire Audin, choisit de rester dans le mensonge : « Je n’ai pas de souvenirs précis. » 

Dans l’Humanité du 15 septembre 2000, Josette Audin écrit ces mots :

« Combien de femmes algériennes, combien de mères algériennes, combien d’enfants algériens n’ont pas retrouvé leur mari, leur fils, leur père, “disparu” après être passé entre les mains des tortionnaires ? (…) Tous attendent qu’officiellement on reconnaisse que la torture a été massivement employée pendant la guerre d’Algérie et que ces méthodes honteuses, ces crimes odieux soient officiellement condamnés. » 

Notre journal donne écho à toutes ses initiatives pour la reconnaissance officielle du crime d’État que constitue l’assassinat de son mari ; les autorités restent sourdes à ces appels. En 2012, le Nouvel Observateur exhume, dans les archives de l’université de Stanford, en Californie, un manuscrit du colonel Godard. Cet officier de la 10e division parachutiste (10e DP), passé par l’OAS, mort en 1975, y désigne un sous-lieutenant du 6e RCP, Gérard Garcet, comme l’auteur de l’assassinat de Maurice Audin, ordonné par Massu et organisé par l’équipe que supervisait Aussaresses durant la bataille d’Alger. L’intéressé se mure dans un silence de plomb, refuse obstinément de répondre à nos sollicitations. Son nom revient encore dans le témoignage d’un ancien appelé que publie l’Humanité le 14 février dernier. Le vieil homme pense avoir, sur son ordre, « enterré » le corps de Maurice Audin. Son récit, insoutenable, est repris dans toute la presse française et algérienne. Trois mois plus tard, notre journal prend l’initiative d’une lettre ouverte demandant au président de la République la reconnaissance officielle des sévices subis par Maurice Audin et de son assassinat par l’armée française. Il est signé d’une cinquantaine de personnalités. 

Alors que l’État reconnaît, enfin, sa responsabilité dans ce crime, nous reviennent en mémoire les termes d’une lettre de Josette Audin, publiée dans l’Humanité du 21 juin 2007 :

« Il s’agit d’un crime contre un homme, contre sa famille, contre l’Algérie, contre la France, contre l’humanité. Hélas, je le sais, il n’est pas le seul crime de cette guerre qui n’aurait jamais dû avoir lieu et qui a fait d’innombrables victimes algériennes et françaises. La torture à laquelle n’a pas survécu mon mari n’était pas un accident, elle avait été institutionnalisée. Si la vérité sur la mort de Maurice Audin, mon mari, était enfin dévoilée, nombreux seraient ceux, sur les deux rives de la Méditerranée, qui y verraient un acte de justice pour tous, contribuant à l’amitié entre des peuples meurtris, et rendant au mot de République un peu du crédit perdu dans ces circonstances. »

(1) Gisèle Halimi, Germaine Tillion, Madeleine Rebérioux, Pierre Vidal Naquet, Henri Alleg, Josette Audin, Simone de Bollardière, Nicole Dreyfus, Noël Favrelière, Alban Liechti, Laurent Schwartz, Jean-Pierre Vernant.

Nous demandons la vérité sur l’assassinat de Maurice Audin

Appel des 171 pour la reconnaissance de ce crime d’État et des violations massives des droits de l’homme par l’armée française durant la guerre d’Algérie

L’Humanité
31 mars 2014

Le 11 juin 1957, Maurice Audin, jeune professeur de mathématiques à Alger et membre du parti communiste algérien, est arrêté par les parachutistes commandés par le général Massu chargé par les autorités françaises du maintien de l’ordre dans la ville. Emprisonné et torturé, il n’est jamais réapparu. Quand, peu après, l’un des chefs parachutistes a affirmé à son épouse, Josette, que son mari s’est évadé, elle n’y a pas cru une seconde et a déposé plainte pour homicide volontaire.

Cette fable de l’évasion d’Audin a été entièrement dénoncée et la thèse de sa mort sans ordre lors d’une séance de torture est mise en doute. Les informations publiées par le Nouvel Observateur en 2012 et les propos tenus par Aussaresses en 2013 peu avant sa mort font que les autorités françaises ne peuvent continuer à se taire.

Elles doivent permettre aux citoyens d’aujourd’hui de connaître l’enchaînement des décisions qui ont permis à cette époque que se déploient à Alger un tel arbitraire et une telle violence. Le rôle des gouvernements présidés alors par Guy Mollet puis Maurice Bourgès-Maunoury, celui du ministre résidant en Algérie Robert Lacoste doivent être connus. Ce n’est pas seulement une question d’histoire, c’est un enjeu civique.

Les documents dont le ministre de la Défense a remis copie à Josette Audin le 1er février 2013 ne contiennent aucun élément essentiel. Aussi, nous demandons aux autorités françaises qu’elles donnent les moyens à une commission d’historiens d’accéder à toutes les archives concernées, notamment celles du ministre résidant en Algérie Robert Lacoste, des présidents du conseil Guy Mollet et Maurice Bourgès-Maunoury, du commandant en chef de l’Armée en Algérie, Raoul Salan, et de celui de la 10e division parachutiste, Jacques Massu, afin d’établir les ordres qu’ils ont donnés, les pouvoirs qu’ils ont attribués et les dispositifs et les pratiques qui en ont été les conséquences.

Nous demandons, par ailleurs, aux autorités françaises qu’elles sollicitent officiellement les autorités algériennes pour qu’elles fassent les recherches nécessaires pour retrouver le corps de Maurice Audin dans les lieux présumés de leur enfouissement dans une fosse commune, avec ceux de centaines d’Algériens torturés et tués eux aussi par l’armée française.

Dans le prolongement de l’Appel des douze avec Pierre Vidal-Naquet que l’Humanité a publié le 31 octobre 2000* et des efforts incessants de Josette Audin pour apprendre la vérité, dont témoigne encore la lettre qu’elle a envoyée le 24 février dernier au président de la République, à laquelle à ce jour elle n’a pas reçu de réponse, nous demandons que les plus hautes autorités reconnaissent le crime d’Etat qu’a été l’assassinat de Maurice Audin, ainsi que la pratique de la torture et les violations massives des droits de l’homme par l’armée française durant la guerre d’Algérie.

* L’Appel des douze était signé de : Henri Alleg, Josette Audin, Simone de Bollardière, Nicole Dreyfus, Noêl Favrelière, Gisèle Halimi, Alban Liechti, Madeleine Rebérioux, Laurent Schwartz, Germaine Tillion, Pierre Vidal-Naquet, Jean-Pierre Vernant.

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Signataires

  • Ernest Pignon-Ernest, plasticien, président des Amis de l’Humanité, Charles Silvestre, coordinateur de l’Appel des douze du 31 octobre 2000, et ses signataires Simone de Bollardière, Alban Liechti et Josette Audin,
  • les anciens appelés en Algérie : Michel Berthelemy, François Bourges, Daniel Dayot, Alain Desjardin, Jacques Devos, Jean-Claude Doussin, Jean-Pierre Farkas, Jacques Gaillot, Georges Garié, André Gazut, Jean-Claude Girardin, Stanislas Hutin, Jacques Inrep, Xavier Jacquey, Claude Juin, Gérard Kihn, Jean Laurans, Gérard Lechantre, Albert Nallet, Bernard Pointecouteau, Henri Pouillot, François-Xavier Ricard, Hubert Rouaud, Claude Sadoux, Bernard Sigg, Jean-Philippe Talbo-Bernigaud, Georges Treilhou, Mario Urbanet, Georges Van Ruymbeke.
  • les historiens : Linda Amiri, Raphaëlle Branche, Gilles Candar, Omar Carlier, Marie Chominot, Suzanne Citron, Sonia Combe, Catherine Coquery-Vidrovitch, Marianne Debouzy, Marcel Dorigny, Michel Dreyfus, René Gallissot, Emilie Goudal, Ali Guenoun, Julien Hage, Mohammed Harbi, Jean-Robert Henry, Anne Jollet, Armelle Mabon, Gilles Manceron, Claire Marynower, Claire Mauss-Copeaux, Gilbert Meynier, Alain Monchablon, Valérie Morin, Abderrahmen Moumen, Emmanuel Naquet, Elsa Paris, Claude Pennetier, Tramor Quemeneur, Malika Rahal, Frédéric Régent, Annie Rey-Goldzeiguer, Carole Reynaud Paligot, Alain Ruscio, Yann Scioldo-Zürcher, Nedjib Sidi Moussa, Françoise Vergès,
  • Nils Anderson, Patrick Apel-Muller, Etienne Balibar, Patrice Barrat, Odile Barral, Françoise Basch, Patrick Baudouin, Bachir Ben Barka, Madjid Benchikh, Fatima Besnaci-Lancou, Frédéric Bonnaud, François Borella, Anissa Bousmah-Bouayed, Pierre Braun, Michel Broué, Catherine Brun, Geneviève Buono, Eric Bocciarelli, Joëlle Brunerie-Kauffmann, Henri Causse, Maurice Causse, Gérard Chaliand, Mouhieddine Cherbib, Alice Cherki, Hélène Cohen, Antoine Comte, Pierre-Yves Cossé, Didier Daeninckx, Ahmed Dahmani, Georges Danton, Régine Deforges, Christian Delorme, Jean-Pierre Dubois, Françoise Dumont, Nasséra Dutour, Eric Fassin, Jacques Freyssinet, Pierre Gaudez, Jean-François Gavoury, François Gèze, Philippe Grand, Robert Guédiguian, Alain Gresh, Nourredine Hached, Sadek Hadjerès, Marc Hédrich, Arlette Heyman-Doat, Geneviève Jacques, Jean-Paul Jean, Louis Joinet, Jacques Julliard, Aïssa Kadri, Christophe Kantcheff, Daniel Kupferstein, Eric Lafon, Brigitte Lainé, Mehdi Lallaoui, Jean-Jacques Lebel, Henri Leclerc, Patrick Le Hyaric, Irène Lindon, Danièle Lochak, Malika Mansouri, Maurice Maschino, Gustavo Massiah, Jean Mayerat, Caroline Mecary, Samia Messaoudi, Olivier Mongin, Fadéla M’Rabet, François Nadiras, Jean-Philippe Ould-Aoudia, Pierre Péju, Edwy Plenel, Serge Portelli, Jacques Pradel, Roland Rappaport, Bernard Ravenel, Vincent Rebérioux, Nicole Rein, Delphine Renard, Marie-Monique Robin, Joël Roman, Bernard Roussel, Brahim Senouci, Evelyne Sire-Marin, Antoine Spire, Mylène Stambouli, Bernard Stephan, Pierre Tartakowsky, Elisabeth Teitgen, Catherine Teitgen-Colly, Emmanuel Terray, Marcel Trillat, Gérard Tronel, Michel Tubiana, Isabelle Vaha, Paul Veyne, Geneviève Vidal-Naquet, Marie-Claude Vignaud-Al Hamchari, Dominique Wallon, Jean-Marc Wasilewski, Sylviane de Wangen, Michel Wieviorka, Michel Wilson, Valentine Zuber.