Hommage 11 juin 2020

par Ajma

Le 11 juin 2020 : Hommage à Josette et Maurice Audin

Hommage à Josette et Maurice Audin 11 juin 2020

Allocution de Pierre Audin

Bonjour à tous, célèbres et moins célèbres. Je ne connais pas les règles du protocole, je ne sais pas les respecter, faites comme si j’avais su.

Ma mère, Josette Audin, était reconnaissante à Pierre Mansat et Catherine Gégout, et à Bertrand Delanoë, pour l’action de la Mairie de Paris qui avait créé la place Maurice Audin dans le Vème arrondissement. Elle était satisfaite que la Mairie de Paris prolonge son intérêt pour Maurice Audin avec ce cénotaphe. Après la déclaration du président de la République, elle avait été à la fête de l’Huma puis à la remise du prix Audin en décembre, j’espérais qu’elle assisterait à cette inauguration et à celle du collège de Vitry sur Seine, qui portera en septembre le nom de Josette et Maurice Audin, grâce à Jean-Claude Kennedy et Christian Favier. Elle n’a pas su qu’Aubervilliers donnera aussi le 6 juillet le nom de Josette et Maurice Audin à un espace vert en bord de canal. Ni que Toulouse a refusé de donner le nom de Maurice Audin à une place.

Comme dit ma sœur Michèle, il n’y aurait pas eu d’Affaire Audin sans Josette Audin. Sans quelques autres aussi, comme Pierre Vidal-Naquet et Laurent Schwartz, bien sûr. Mais c’est bien elle qui les a entraînés dans cette affaire. Mes parents ont milité ensemble, ils ont participé à la lutte du peuple algérien pour son indépendance. Les paras ont torturé et assassiné Maurice Audin, et ils ont brisé la vie de Josette Audin. Il me plaît que la cérémonie d’aujourd’hui soit l’occasion de leur rendre hommage à tous les deux, et il me plaît que la place Maurice Audin d’Alger soit l’un des lieux de la révolution actuelle du peuple algérien, aujourd’hui encore. Vous aurez une autre occasion de vous retrouver ici, ce sera pour saluer le travail que mène actuellement l’artiste Kader Attia pour compléter ce cénotaphe.

Je voudrais citer quelques personnes qui ont accompagné le combat de ma mère pour mon père, je vais en oublier forcément, mais Pierre Mansat en a déjà cité plusieurs.

Mes grands-parents paternels, Louis et Alphonsine Audin, pas du tout communistes eux, mais qui ont soutenu ma mère dès le début, en particulier dans les aspects pratiques concernant les «  trois petits diables » dont elle avait seule la charge : ma soeur Michèle, mon frère Louis et moi. Pour les mêmes raisons, Charlye et Christian Buono, mes oncle et tante, et Lucette et Guy Grau, mes autres oncle et tante.

Henri Alleg, qui a subi les mêmes tortionnaires que mon père, et qui en a témoigné toute sa vie. Il avait été pris dans la souricière installée chez mes parents. André Moine avait rendez-vous avec mon père, mais ils avaient jugé ça trop dangereux et c’est Henri Alleg qui a été à ce rendez-vous. C’était effectivement dangereux. C’était bien André Moine que les paras cherchaient.

Marcel Guigon, un rare copain militaire de mon père, qui a manifesté sa solidarité à un moment où c’était risqué pour lui, dès l’été 1957.

Christophe Guillou, marin communiste français qui a aidé mon père à exfiltrer Larbi Bouali vers la Chine.

Les avocats, je citerai seulement Roland Rappaport. Une semaine avant sa mort, j’étais avec lui pour rédiger une lettre au président de la République sur le thème : vous avez téléphoné à Josette Audin pour lui dire que vous feriez tout pour lui apporter les réponses qu’elle attend, voilà les questions.

A l’Elysée, Sylvain Fort et Sophie Walon ont découvert l’affaire Audin, dont tout le poids leur est tombé sur les épaules, et ils ont écrit avec l’historienne Sylvie Thénault cette déclaration qu’Emmanuel Macron a porté à ma mère.

Les journalistes de l’Huma. Ces dernières années, Maud Vergnol. Mais aussi, bien sûr, Nathalie Funès de l’Obs. Et pour les médias, le documentariste François Demerliac, et aussi Narimène Laouadi de France24.

Les mathématiciens Laurent Schwartz et René de Possel. Mais aussi Cédric Villani, François Nadiras dont le site web est devenu histoirecoloniale.net et surtout Gérard Tronel. Il était tenace et décidé. Jusqu’à son dernier souffle en 2017, il cherchait ce qu’il faudrait faire pour obtenir la reconnaissance du crime d’état par le président de la République.

Dans ceux que j’ai oubliés, il y a Sadek Hadjerès, ancien militant de la même cellule du PCA que mes parents, ancien dirigeant du PCA, qui devait être présent aujourd’hui mais qui est à l’hôpital, suite à une chute. Je vais donc vous lire son message.

Hommage à Josette et Maurice Audin

Père Lachaise – 11 juin 2020
Message de Sadek Hadjerès,
compagnon de lutte de Maurice et Josette Audin lors de la guerre d’Algérie

11 juin 2019

En ce jour où les cendres de Josette Audin ont été dispersées au Jardin du souvenir du cimetière du Père-Lachaise, et où nous inaugurons le cénotaphe en l’honneur de Maurice Audin, je voudrais évoquer deux souvenirs précis, qui me restent gravés dans la mémoire, de mes rencontres avec Maurice et Josette Audin.

Tous deux étaient membres du parti communiste algérien, dont j’étais l’un des responsables, et qui avait décidé en mars 1955 de participer à la lutte d’indépendance nationale du peuple algérien déclenchée par le FLN, tout en gardant ses propres formes de lutte politique et militaire.

Le premier souvenir concerne ma visite, le 13 septembre 1955, le jour même où le PCA a été interdit en raison de cette orientation, à Maurice Audin, à Alger, dans leur appartement où Josette était aussi présente. Il y avait aussi Claude Duclerc, le secrétaire de la section du Plateau à laquelle appartenait la cellule dont Maurice et Josette étaient membres. Ma visite se situait dans le cadre d’une tournée auprès de quelques responsables du parti pour leur expliquer cette orientation et la forme de militantisme que chacun devait adopter. J’ai mis Maurice Audin au courant des choix politiques du parti, y compris de l’existence de sa branche armée, les Combattants de la Libération, les CDL, et j’ai discuté avec lui de ses propres activités dans ce contexte.

Je m’en souviens très bien — d’autant que… le 13 septembre était en même temps le jour de mon anniversaire… Maurice Audin était pleinement d’accord avec la position du parti de participer à la lutte armée déclenchée par le FLN, mais il fallait éviter les interférences entre les différents secteurs d’activité et nous avons convenu qu’il devait poursuivre son travail politique auprès des lycéens, étudiants et enseignants du secondaire et du supérieur, parmi lesquels beaucoup d’entre eux, d’origine algérienne ou européenne, dénonçaient la répression et demandaient une solution politique à l’insurrection qui venait d’être déclenchée. C’était un travail où il était très à l’aise. Il était très souvent au Foyer des étudiants musulmans, il y avait beaucoup d’amis, il se considérait comme algérien comme eux et participait à toutes les conférences et manifestations anticolonialistes.

Je me souviens très bien de cette rencontre dans leur appartement. Josette et lui avaient déjà un enfant, et je revois l’image, avant de les quitter, de Maurice et Josette qui était enceinte, montrant le berceau de leur enfant à naître et le voile de tulle qui le recouvrait. C’était une image vraiment touchante. Je n’imaginais pas que vingt mois plus tard, ce bébé deviendrait orphelin.

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J’ai revu Josette une deuxième fois durant la guerre, en 1958. Malgré le malheur qui l’avait durement frappée, elle n’avait pas baissé les bras et coordonnait la solidarité aux familles des prisonniers politiques internés à la prison de Barberousse, en liaison étroite avec Djamila Briki, la femme de Yahia Briki, auteur de plusieurs attentats organisés par les CDL, qui y était incarcéré après avoir été condamné à mort. Djamila Briki était supposée travailler chez Josette Audin comme femme de ménage, ce qui légitimait leurs contacts, et, tous les jours, elle se rendait devant la prison pour organiser les protestations des femmes de détenus. Nous avions décidé que ma rencontre avec Josette à ce sujet ait lieu dans un de nos locaux les plus clandestins qui servait aussi d’imprimerie. Elle y était arrivée après un parcours de sécurité compliqué et épuisant, sous un soleil de plomb et portant dans ses bras son dernier né que Maurice n’avait pas connu. On y montait par un immense escalier et elle était arrivée tout essoufflée et congestionnée, mais elle avait ensuite discuté avec moi avec le plus grand calme du développement de l’action avec les familles de détenus, qu’ils soient membres du FLN ou bien des CDL comme Yahia Briki, le mari de Djamila.

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Ces deux moments avec Maurice et Josette Audin restent à jamais gravés dans ma mémoire. Et aujourd’hui le fait que la place Maurice Audin à Alger représente un symbole pour les manifestations démocratiques actuelles m’émeut particulièrement.

Que leur souvenir reste à l’esprit du peuple algérien, épris, aujourd’hui comme hier, de justice, de démocratie et de liberté !  

Sadek Hadjerès