Documents « Collectif »

par Ajma

Raison ou déraison d’état? Secret-défense : un enjeu démocratique

Mardi 27 Octobre 2020,
par Collectif

Rappel des faits Nous publions l’appel du collectif regroupant seize affaires et qui demande la vérité et l’accès aux documents classifiés sensibles.

TEXTE COLLECTIF

Maurice Audin, Mehdi Ben Barka, Robert Boulin, Bernard Borrel, Thomas Sankara, le Bugaled-Breizh, la Caravelle Ajaccio-Nice, autant de noms parmi des dizaines d’autres qui ont fait la une de l’actualité, autant d’affaires où l’État français est directement impliqué et qui ne sont toujours pas élucidées dix, vingt, cinquante, voire plus de soixante ans après les faits.

Comment justifier qu’en France, la patrie des droits de l’homme, le pouvoir exécutif puisse systématiquement invoquer le secret de la défense nationale au nom de la raison d’État et répondre au citoyen qui réclame la vérité, à la victime qui réclame justice : « Circulez, il n’y a rien avoir ! »

Dans les affaires regroupées au sein du collectif Secret-défense : un enjeu démocratique, les documents sensibles, classifiés selon trois niveaux (confidentiel-défense, secret-défense, très secret-défense), sont le plus souvent inaccessibles ou inexploitables. En effet, la procédure ne respecte pas la séparation des pouvoirs puisque celui qui classifie – le pouvoir politique – est aussi celui qui choisit ou non de déclassifier. Seuls sont déclassifier, quand ils ne sont pas en partie rendus illisibles, les documents pas trop embarrassants, « la bibliothèque rose » selon l’expression du juge Trévidic. Comme en plus la classification est massive et souvent abusive, autant chercher une aiguille dans une meule de foin pour trouver l’archive pertinente.

Combien de temps encore les représentants de l’État vont-ils pouvoir, sans contrôle réel et indépendant :

  • entraver les enquêtes judiciaires, faisant de la victime, censée être protégée par les institutions de son pays, un adversaire à combattre, voire à abattre, au lieu de lui rendre justice ?
  • empêcher les journalistes, les historiens, les citoyens, d’accéder aux informations et aux documents nécessaires à leurs travaux de recherche pour établir la vérité ?

Aucune des affaires  regroupées dans le collectif Secret-défense : un enjeu démocratique ne met en danger l’intérêt vital de la nation. Mais elles concernent la mort de beaucoup de victimes innocentes. Tout citoyen est concerné.

Voici la liste des affaires regroupées dans notre collectif :

  1. Le massacre des tirailleurs sénégalais au camp de Thiaroye, le 1er décembre 1944.
  2. Les massacres d’Algériens à Sétif, le 8 mai 1945.
  3. La disparition de l’universitaire Maurice Audin en Algérie le 11 juin 1957.
  4. La répression de la manifestation des Algériens à Paris, le 17 octobre 1961.
  5. L’enlèvement et la disparition de Mehdi Ben Barka à Paris, le 29 octobre 1965.
  6. Le crash de la Caravelle Ajaccio-Nice, le 11 septembre 1968.
  7. L’explosion du vol Air France Santiago-Orly à l’escale de Caracas, le 3 décembre 1969.
  8. L’assassinat du militant internationaliste Henri Curiel à Paris, le 4 mai 1978.
  9. L’assassinat de Robert Boulin, ministre en exercice, dans la nuit du 29 au 30 octobre 1979.
  10. La destruction en vol de l’avion de ligne Bologne- Palerme au-dessus d’Ustica, en Italie, le27 juin 1980.
  11. L’assassinat de Thomas Sankara, président du Burkina Faso, et de ses compagnons, le15 octobre 1987.
  12. L’explosion de la Maison des Têtes de Toulon, le 15 février 1989.
  13. Le rôle de la France dans le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994.
  14. L’assassinat du magistrat Bernard Borrel à Djibouti, le 18 octobre 1995.
  15. Le naufrage du chalutier breton Bugaled-Breizh, le 15 janvier 2004.
  16. L’enlèvement et l’assassinat au Mali de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, envoyés spéciaux de Radio France internationale, le 2 novembre 2013.

Autant de pages noires de notre Histoire où l’État paraît avant tout préoccupé de protéger le pouvoir politique, l’institution militaire, les intérêts de pays étrangers, de favoriser la défense d’un roman national à des fins partisanes au détriment de l’Histoire et de la justice due aux victimes.

Ainsi, un militaire ayant participé à l’opération Turquoise au Rwanda en juin 1994 a-t-il pu déclarer,lors d’un colloque le 27 février 2014 : « Le problème n’est pas dans mon témoignage, il est dans votre version officielle (celle des autorités politiques et militaires), qui est bien plus romancée que la mienne. »

Faut-il rappeler à l’État que faire obstruction à la manifestation de la vérité sur des faits criminels est pénalement répréhensible ?

Héritage de l’Ancien Régime, le secret-défense tel qu’il fonctionne actuellement est indigne d’un régime démocratique. L’autocontrôle instauré depuis 1998 par une commission administrative est notoirement insuffisant et contraire aux engagements européens de la France.

Le collectif Secret-défense : un enjeu démocratique, regroupant à ce jour 16 affaires d’État, s’est constitué en septembre 2017 avec pour objectif de réformer le secret-défense en le soumettant au contrôle d’une juridiction indépendante dans laquelle l’État ne serait plus à la fois juge et partie, afin de mettre la loi française en conformité avec la Cour européenne des droits de l’homme.

Notre objectif est d’alerter le citoyen, mais aussi les parlementaires, les institutions pour qu’une réforme (en cours) de la procédure actuelle fasse droit aussi bien à la raison d’État, quand elle est justifiée, qu’au citoyen, quand il est victime d’une ténébreuse affaire.

Il faut en finir avec le double langage des autorités. Alors que le président de la République a promis à Josette Audin de donner l’accès aux archives des disparus dans la guerre d’Algérie,l’application stricte d’une instruction de 2011 (IGI 1 300) verrouille encore davantage ces archives sensibles et entrave le travail des historiens, des archivistes, des chercheurs et des juges d’instruction ! Un recours a été déposé au Conseil d’État.

Il s’agit de passer du culte de l’État fort qui a tous les droits à une culture de l’État juste qui garantit les droits de tous les citoyens.

Découvrez le site internet ainsi que leur Facebook