Lundi 7 Décembre 2020, par Jérôme Skalski
Créé ce printemps, le Guide numérique sur les disparus de la guerre d’Algérie a été présenté, vendredi, en visioconférence. Un dispositif masquant mal les entraves administratives persistantes imposées par une circulaire de 2011 sur le droit à l’accès aux archives et la liberté de la recherche académique.
« Secret-défense »
La reconnaissance par Emmanuel Macron, le 13 septembre 2018, de la responsabilité de l’État dans la disparition et l’assassinat de Maurice Audin, mathématicien de 25 ans, membre du Parti communiste algérien et militant pour l’indépendance de l’Algérie, arrêté par l’armée française en juin 1957, avait suscité de nombreuses attentes de la part des historiens ainsi que des personnes à la recherche d’informations concernant leurs proches portés disparus pendant la guerre d’Algérie.
Organisée par les services de l’État sous l’égide, tout d’abord, des Archives de France, conformément au souhait exprimé par le président de la République, visant « à encourager le travail historique sur tous les disparus de la guerre d’Algérie, français et algériens, civils et militaires », la rencontre autour du Guide numérique sur les disparus de la guerre d’Algérie, dispositif créé au printemps dernier, avait été programmée le 27 mars. En raison de l’épidémie de
Covid-19, elle s’est finalement déroulée ce vendredi sous la forme d’une visio conférence organisée par le service interministériel des Archives de France, placé sous l’autorité directe du gouvernement et représenté vendredi par sa directrice, Françoise Banat-Berger. « Cette journée consacrée au Guide numérique sur les disparus de la guerre d’Algérie a été réalisée pour mettre en oeuvre un début de réalisation de l’une des promesses que le président de la République avait faite quand il avait rendu visite à Josette Audin en septembre 2018, en même temps qu’il lui remettait une déclaration officielle proclamant sa volonté de faire la vérité et reconnaître, non s eulement le cas de Maurice Audin, mais celui de tous les disparus de la guerre d’Algérie », explique Gilles Manceron. « Les archivistes ont certes travaillé et ont fait un guide des ressources numériques sur le sujet mais le problème, c’est que, la plupart du temps, quand on clique sur telle ou telle entrée, on trouve “page non trouvée” du fait de l’IGI 1 300 de 2011 (instruction générale interministérielle 1 300 – NDLR), subordonnant l’accès aux archives “secret- – défense” à la mise en oeuvre d’une procédure de déclassification par un processus compliqué dont l’échéance n’est pas précisée et fermant pratiquement l’accès aux ressources recherchées », précise l’historien spécialiste du colonialisme français (voir notre édition du 23 octobre). Une chape de plomb sur les archives historiques. « Objectivement, je peux vous dire que, depuis la déclaration du président de la République, les choses n’ont presque pas bougé au niveau des archives », souligne pour sa part Caroline Piketty.
Une situation scandaleuse selon l’historienne et ancienne responsable des Archives nationales de Pierrefitte, dénonçant par ailleurs la procédure de présentation du Guide des disparus de la guerre d’Algérie qui, à « sens unique », n’a pas permis aux personnes assistant à la visioconférence de s’exprimer, d’avoir des réponses à leurs questions légitimes et laissant de côté « le problème numéro un, qui est celui du droit d’accès aux archives entravé par une circulaire administrative en contradiction flagrante avec la loi et faisant l’objet du recours devant le Conseil d’État » (voir notre édition du 2 octobre). Un recours contre le « confinement » des Archives nationales.
« Ce guide numérique devrait être un instrument simplifiant les recherches sur les disparus de la guerre d’Algérie », témoigne de son côté Pierre Audin, fils de Maurice et Josette Audin. « Nous nous attendions à ce qu’il y ait une présentation technique et une présentation sur les contenus, précise-t-il. En fait, quels que soient les gens qui sont intervenus sur leurs recherches à propos des disparus, aussi bien les personnes à la recherche de disparus civils du côté algérien, qui sont les plus nombreux, mais aussi les personnes qui cherchent des militaires disparus, des Français pro- Algérie française aussi bien que des harkis engagés dans des recherches analogues, tous constatent qu’il y a des li ens qui sont vides. »
« Le président de la République annonce et le SGDSN (secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale – NDLR), qui est une instance non élue, dépendant du premier ministre et qui, vraisemblablement, est aussi très dépendant de l’armée, fait ce qu’il veut et décide dans son coin de ce qui est consultable et de ce qui ne l’est pas, souligne le porte-parole de l’Association Josette et Maurice-Audin. Et ceci malgré la loi de 2008 votée par l’Assemblée nationale et le Sénat, et en contradiction avec ce qu’a déclaré le président de la République. » « L’armée est toute-puissante en Algérie mais, apparemment, l’armée est aussi toute-puissante en France », conclut-il.
Un constat qui, au-delà de la valeur des effets d’annonce auxquels nous a habitué le président de la République, près de cent vingt-cinq ans après l’engagement de l’affaire Dreyfus et près de soixante ans après l’attentat du Petit-Clamart, nous interroge dramatiquement sur la régression de la démocratie, de la liberté académique et de l’État de droit dans notre République.