Josette Audin, un très beau portrait par Nathalie Funès dans l’OBS

par Ajma

Josette Audin, lors d’une manifestation à Paris en 2004 pour l’inauguration d’une place au nom de son mari Maurice Audin, dans le 5e arrondissement. (AFP/ JEAN AYISSI)

Il n’y aurait pas eu d’affaire Audin sans Josette Audin »

Par Nathalie Funès
Publié le 04 février 2019 à 10h53

La dernière fois que nous avions été la voir, c’était à la mi-décembre. Nous lui avions demandé ce qu’elle avait emporté, en 1966, après le coup d’Etat de Houari Boumediene, quand elle avait quitté l’Algérie pour rejoindre la France, en passant par le Maroc et l’Espagne, avec ses trois enfants, dans une voiture bourrée à craquer. Comme souvent, Josette Audin avait d’abord répondu par un silence. Puis elle avait lâché six mots, pas un de plus.« J’ai pris les choses importantes, les livres et les photos. »

Les livres qui avaient traversé la Méditerranée étaient encore-là, un demi-siècle plus tard, dans la bibliothèque de son salon, perché au cinquième étage d’un immeuble blanc de Bagnolet, en banlieue parisienne. Et les photos aussi, les rares portraits en noir et blanc, visage resté à jamais enfantin, de son mari, Maurice Audin. Le combat de toute sa vie.

Photo non-datée de Maurice Audin. (STF / AFP)

26 ans, trois enfants de 1 mois à 3 ans

Le jeune homme était assistant en mathématiques à la faculté d’Alger, adhérant du Parti communiste algérien (PCA) et militant anticolonialiste. Il a 25 ans quand les militaires viennent l’arrêter, le mardi 11 juin 1957, à 23 heures, dans son appartement de la rue Flaubert, au cœur du quartier du Champ-de-Manœuvre, à Alger. Josette, 26 ans, est là. Leurs trois enfants, Michèle, 3 ans, Louis, 1 an et demi, et Pierre, 1 mois, aussi. Elle s’inquiète de savoir quand son époux va revenir. L’un des militaires lui répond :« S’il est raisonnable, il sera de retour ici dans une heure. »

Maurice Audin est conduit dans un immeuble en construction d’El Biar, sur les hauteurs de la ville, transformé en centre de détention par l’armée française. Torturé à mort ? Exécuté ? Il n’en est jamais revenu. Le 1er juillet 1957, vingt jours après l’arrestation, un lieutenant-colonel tente de faire croire à Josette Audin que son mari s’est évadé lors d’un transfert. Elle dépose plainte contre X pour homicide volontaire.

« Il n’y aurait pas eu d’affaire Audin sans Josette Audin », a l’habitude de dire sa fille, Michèle, mathématicienne, comme son frère Pierre et auteur de nombreux ouvrages, dont « Une vie brève » (Gallimard), un livre très émouvant sur son père. Josette participe à la création d’un Comité Maurice Audin, sonne à toutes les portes, celles des avocats, des journalistes, des militants des droits de l’homme, des politiques.

Les soutiens se réduisent comme peau de chagrin dans une Algérie déchirée par la guerre et où les anticolonialistes sont minoritaires. En mars 1962, au moment des Accords d’Evian qui organisent l’indépendance, un décret amnistie « les faits commis dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre dirigées contre l’insurrection algérienne ». Un non-lieu est prononcé, suite à la plainte contre X, pour insuffisance de charges, le mois suivant.

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