Jules Borker, une vie de résistance à toute injustice

par Ajma

Mercredi 26 Février 2014

Il fut pendant plus de trente ans l’avocat de l’Humanité. Mais aussi celui d’Angela Davis, de Josette  Audin, des travailleurs du Parisien libéré. Jules Borker est mort lundi matin. Il avait quatre-vingt-quatorze ans.

Jules Borker est né le 20 mai 1919 en Lituanie. Ses parents arrivent à Paris quatre ans plus tard et ouvrent un commerce dans le Sentier qui sera réquisitionné sous l’Occupation. Il se destinait à la médecine. La guerre et son engagement dans la Résistance en auront décidé autrement. Franc-tireur et partisan de décembre 1940 à la Libération, il dirigera des mouvements de jeunesse antinazis à Grenoble, Lyon, Toulouse. À la Libération, il se réoriente vers le droit. En 1947, il devient avocat. Et quel avocat ! Pour ceux qui l’ont côtoyé de près, tel Richard Valeanu qui fut son associé de longues années durant, « c’était un tribun extrêmement courageux », de la trempe de ceux qui ne se laissent pas démonter par les représentants du parquet. « Lors du procès des travailleurs du Parisien Libéré contre Amaury, je le vois encore se dresser et pointer le doigt dans la bedaine du procureur. »

Il fut l’avocat de Josette Audin, Alfred gerson, Angela Davis, des militants du FLN…

Jules Borker, que ses amis appelaient Antoine, son pseudonyme pendant la Résistance, ne craignait rien ni personne. Pour ce ténor du barreau, aucune cause n’était insurmontable. Parmi les nombreuses affaires qu’il a plaidées, rappelons qu’il fut l’avocat, aux côtés de Gisèle Halimi et de Jacques Vergès, des militants du FLN en organisant un pont aérien pour permettre aux avocats français de se rendre en Algérie, celui de Josette Audin après l’enlèvement et la disparition de Maurice Audin, d’Alfred Gerson, pendant la guerre d’Algérie, d’Angela Davis qu’il a assistée lors de son procès en Californie en 1972 où elle risquait la peine de mort. En 1973, quelques semaines après le coup d’État au Chili, il s’y rend, à la demande d’organisations internationales de jeunesses et avec l’appui de l’Épiscopat français pour enquêter sur l’étendue de la répression frappant principalement la jeunesse chilienne.

En 1979, il fera condamner trois hauts fonctionnaires, le constructeur et l’architecte du collège Édouard-Pailleron dans l’incendie duquel seize élèves et quatre adultes trouvèrent la mort. Une première en France. Mais pour Jules Borker, aucune cause n’était insurmontable.

Avocat de l’Humanité contre Maurice Papon

Comme avocat, il avait à cœur la défense et la liberté de la presse, de ses journalistes. Avocat de notre journal, il était de tous les combats contre la censure. En 1997, il avait mis en échec Jean-Louis Debré, alors ministre de l’Intérieur, qui avait cru bon de poursuivre l’Humanité devant les tribunaux après un article d’Élisabeth Fleury qui relatait un passage à tabac purement gratuit de trois jeunes gens interpellés sans motif réel par des policiers du commissariat de Fontenay-sous-Bois. À la même époque, c’est Maurice Papon, quelque temps avant son procès à Bordeaux, qui avait assigné l’Humanité en justice pour, tenez-vous bien, « atteinte à la présomption d’innocence », qui voit sa plainte déboutée. En cause, la publication par nos confrères Gilles Smadja et Charles Silvestre des attendus de l’arrêt de renvoi de la Cour de cassation. Ce qui fera dire à maître Borker : « Cette victoire dépasse notre seul journal. La liberté de la presse, au moment où elle fait l’objet de nombreuses attaques, sort grandie et renforcée par cette décision. En déclarant, dans ses attendus, qu’il est “légitime que la presse contribue à éclairer son lectorat sur des faits qui intéressent l’histoire”, le tribunal donne à sa décision une portée particulière à la mesure de l’affaire Papon elle-même. »

Avocat, militant communiste, il fut l’un des négociateurs, d’abord sous l’impulsion de Waldeck Rochet puis de Georges Marchais, du programme commun. Avec son confrère Roland Dumas – pour le Parti socialiste –, ils avaient inventé une affaire de faux divorce pour justifier leurs nombreuses rencontres. Pour Jean-Michel Catala, ancien secrétaire des Jeunesses communistes et lui aussi avocat, « Antoine est un homme qui a une belle histoire et qui mérite le respect ». Jusqu’au bout, il est resté cet homme « délicieux, jeune d’esprit, aux incroyables facultés intellectuelles », ajoute Richard Valeaunu.

Le 3 mai 1990, il reçoit la Légion d’honneur des mains de François Mitterrand. C’est dans les locaux de l’Humanité, son journal, qu’il la fêta avec de nombreuses personnalités et de tous ses amis.

De multiples hommages. L’ancien directeur de l’Humanité, Roland Leroy, a rappelé, à l’annonce de ce décès, que « Jules Borker était un ami de longue date. (Je) l’appelais toujours Antoine, ce nom qui lui était resté de l’époque de la Résistance. Dès les premières années de la guerre froide, il fut l’un des avocats habituels de la fédération de Seine-Maritime du PCF où je militais. Plus tard, je fus en contact étroit avec lui quand, sous la direction de Waldeck Rochet, s’établirent de premières relations avec le Parti socialiste, puis avec François Mitterrand. Et quand je devins directeur de l’Humanité, il fut l’un des avocats habituels du journal. Tout cela fit qu’entre nous, s’étaient établies des relations d’amitié étroite. Je ressens une peine profonde que mon épouse et moi partageons avec ses proches ». Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, a rendu hommage au « militant imperturbable, homme de loi et de justice », au jeune responsable de la MOI, à l’un des artisans du programme commun, à l’animateur du comité Audin, au défenseur des juifs soviétiques. Des messages ont été adressés aux proches de Jules Borker par Patrick Apel-Muller, Richard Béninger, Claude Cabanes, Pierre Zarka…

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