À l’occasion du 57e anniversaire de son arrestation par les paras du général Massu, un nouvel hommage a été rendu à Alger à Maurice Audin. Vous pourrez en prendre connaissance ci-dessous dans un article qui demande aux autorités françaises de dévoiler le lieu de son inhumation et annonce que le prix Maurice Audin sera décerné le 18 juin à l’institut Henri Poincaré (Paris).
Nous reprenons également le texte de la lettre que Josette Audin a adressée au président de la République le 24 février dernier pour connaître la vérité sur les circonstances de l’assassinat de son mari. Elle lui demande de condamner « la torture et les exécutions sommaires commandées par les gouvernements successifs de la France pendant la Guerre d’Algérie. »
Pour terminer, un extrait d’un article de janvier 2014 qui met en évidence des questions que l’on continue à se poser au sujet de l’“affaire Audin”.
Hommage à Maurice Audin au forum de la mémoire d’El Moudjahid :
Appel aux autorités françaises pour dévoiler le lieu d’inhumation
par Soraya Guemmouri, El Moudjahid,
le 11 juin 2014
Le forum de la mémoire d’El Moudjahid a organisé, hier, de concert avec la dynamique association Machaâl Echahid, une rencontre-hommage consacrée à la vie et l’œuvre du militant anticolonialiste, Maurice Audin. Cette rencontre a été animée par M. Mohamed Rebah, chercheur en histoire et auteur des ouvrages Des Chemins et des Hommes et Taleb Abderrahmane guillotiné le 24 avril 1958 » et par M. Hacène Belbachir, professeur de mathématiques à l’université des sciences et des technologies Houari-Boumediène (USTHB), directeur de la programmation, de la recherche, de l’évaluation et de la prospective à la direction générale de la recherche scientifique et du développement technologique.
S’exprimant, en premier, le chercheur en histoire, Mohamed Rebah, a tenu à rappeler que ce brillant mathématicien, mort pour l’Algérie, a été assassiné par les parachutistes, il y a 57 ans de cela : le 21 juin 1957. L’orateur avant d’entamer son allocution, soulignera que comme des milliers de disparus de la Bataille d’Alger, le corps de Maurice Audin, n’a jamais été retrouvé.
Évoquant, ensuite, sa rencontre avec Maurice Audin, Mohamed Rebah, a précisé à l’assistance qu’il était lui-même élève de ce brillant mathématicien. « C’est un immense honneur pour moi d’évoquer, aujourd’hui, devant vous, le souvenir de ce frère et ami, de ce camarade dont j’eus le privilège d’être l’élève », a-t-il affirmé.
M. Rebah qui a participé à cette rencontre-hommage avec un témoignage poignant, a tenu à rappeler le fait que lorsqu’il se rendait chez Maurice Audin, au 22 rue de Nîmes, au centre d’Alger, pour les cours de mathématiques qu’Audin donnait « gracieusement », il ne savait pas qu’il allait à la rencontre d’un savant, tellement sa modestie était grande. Maurice Audin, qui préparait alors sa thèse de mathématiques, consacrait généreusement ses samedis après-midi à son élève Mohamed Rebah.
Revenant sur les circonstances de la première rencontre, M. Rebah confie aux présents qu’il avait, en fait, connu Maurice Audin par l’intermédiaire de son frère aîné, Nour Eddine, étudiant comme lui, à l’université d’Alger. « Ils (Nour Eddine et Maurice Audin, NDLR) partageaient les mêmes convictions politiques. Nour Eddine est tombé au champ d’honneur moins de trois mois après lui, soit le 13 septembre 1957, à Bouhandès, au sud-ouest de Chréa, au flanc sud du Djebel Béni Salah », a-t-il précisé.
Le conférencier s’attardera, plus tard, sur la vie et le parcours militant de Maurice Audin. Né le 14 février 1932, dans la ville de Béja, en Tunisie, le défunt dont le père était né en France, et la mère en Algérie. A Alger, où sa famille revint dans les années 40, il suivit particulièrement toute sa scolarité. Il entra à la faculté des sciences d’Alger en 1949, à l’âge de 17 ans.
Brillant étudiant, Maurice Audin fut appelé le 1er février 1953 comme assistant par le professeur de Possel qui le prit aussitôt en thèse et le mit en contact avec son patron de Paris, le grand mathématicien Laurent Schwartz. En plus de ses activités de chercheurs, Maurice Audin, membre du parti communiste algérien depuis 1951, était omniprésent dans les luttes syndicales et politiques, notera l’orateur.et d’ajouter que « le 20 janvier 1956, il était aux côtés de ses camarades étudiants musulmans de l’université d’Alger lors de la manifestation organisée par la section d’Alger de l’UGEMA, suite à l’assassinat de l’étudiant Belkacem Zeddour et du docteur Benaouda Benzerdjeb ; cette manifestation qui fut d’ailleurs le prélude à la grève générale illimitée déclenchée le 19 mai 1956 ». Avant d’évoquer les circonstances de la disparition de la mort de Maurice Audin, en s’appuyant sur le témoignage de son épouse ainsi que sur les écrits d’Henri Alleg et du docteur Georges Hadjadj, M. Rebah mettra en relief que le défunt engagea toute sa vie dans une voie pleine de courage : détruire l’ordre colonial sanglant, insultant raciste, pour construire, avec le peuple libéré, une société juste, solidaire, fraternelle. Il rappelle qu’afin de perpétuer le souvenir du brillant mathématicien, symbole de l’intellectuel engagé, mort pour que vive l’Algérie, son pays, la République algérienne reconnaissante donna, le jour de la célébration de l’an I de l’indépendance, le nom de Maurice Audin à la place centrale d’Alger, en contrebas de l’université où il mena de brillantes recherches. Le 19 mai 2012, à l’occasion de la célébration de la journée nationale de l’étudiant, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique inaugura la plaque commémorative scellée au mur de l’université d’Alger, près de la librairie qui porte le nom du mathématicien martyr.
Le prix Maurice Audin sera décerné le 18 juin à l’institut Henri Poincaré
Intervenant, pour sa part, M. Hacène Belbachir, professeur de mathématiques à l’université des sciences et des technologies Houari-Boumediène (USTHB) évoquera le prix Maurice Audin ; un prix qui est décerné conjointement par une partie française et une partie algérienne, relève l’orateur. Et d’ajouter : « Concernant la partie algérienne, c’est la direction générale de la recherche scientifique et du développement technologique, dirigée par le professeur Hafidh Aoureg qui accepté, depuis 2009, de donner ce prix conjointement avec la partie française.
La partie française était prise en charge depuis 2004 jusqu’à cette année par l’association Maurice Audin. Depuis cette date, l’association Maurice-Audin le fait en partenariat avec l’IHP (l’institut Henri Poincaré) dirigé par un médaille-Fields — l’équivalent du prix Nobel en mathématiques — qui s’appelle Cédric Villani ». C’est lui, en fait, explique M. Belbachir qui va décerner le prix, le 18 juin 2014, à l’institut Henri Poincaré.
Il convient de rappeler, enfin, que le prix Maurice-Audin, créé en 1957 à Paris est décerné, chaque année depuis 2004, par l’association éponyme, établie en France, pour honorer, une fois par an, deux mathématiciens des deux rives de la Méditerranée.
Désormais, ce prix sera décerné « tous les deux ans et sera pris en charge par une institution française officielle », note M. Hacène Belbachir. Soraya Guemmouri
Lettre de Josette Audin au Président de la République Le 24 février 2014
Monsieur le Président de la République
Voilà près de 60 ans que mon mari, Maurice Audin, a été arrêté, torturé et exécuté par les parachutistes de l’armée française pendant la Guerre d’Algérie.
Après votre élection à la Présidence de la République, je vous ai écrit une première fois pour vous demander la condamnation des méthodes préconisées par les gouvernements français et utilisées par l’armée française pendant la Guerre d’Algérie, et l’ouverture des archives concernant mon mari.
Pour les archives et à votre demande, le ministre de la Défense m’a communiqué ce qui se trouvait dans son périmètre. Mais, comme il en a lui-même convenu, il n’y a rien de très intéressant dans ces documents, qui reprennent la thèse officielle de l’évasion préconisée à l’époque.
Mais si ces archives ne révèlent rien sur les tortures subies par Maurice Audin et sur la façon dont il a été assassiné, elles révèlent la responsabilité de l’Etat de l’époque et sa volonté d’empêcher la justice de dire la vérité :
le ministre des Armées a dicté aux militaires ce qu’ils devaient dire au juge
le général de Gaulle, en accord avec son premier ministre et ses ministres de la Justice et des Armées, a décidé de taire la vérité et d’empêcher l’instruction d’aboutir.Depuis la fin de la Guerre d’Algérie, l’Etat est silencieux. Et c’est la thèse de l’époque, la thèse de l’évasion qui continue de prévaloir.
Après vous être incliné à Alger, place Audin, devant la plaque honorant Maurice Audin, après m’avoir donné accès aux archives, Monsieur le Président de la République, vous ne pouvez pas laisser perdurer la toujours officielle version de l’évasion.Le ministre de la Défense a dit récemment à l’Assemblée nationale que ce serait l’honneur du Gouvernement que vous avez nommé que d’avoir contribué à établir la vérité. Sur les faits révélés par les archives, j’ai compris que nous n’irions pas plus loin. La question qui reste, la seule qui importe, celle que je veux vous poser, c’est celle de la reconnaissance — ou non — par l’Etat de la responsabilité de l’Etat de l’époque dans la disparition, c’est-à-dire dans l’arrestation, la torture et l’exécution de Maurice Audin.
Mais c’est aussi celle de la condamnation de la torture et des exécutions sommaires commandées par les gouvernements successifs de la France pendant la Guerre d’Algérie.
J’espère, Monsieur le Président, que la sensibilité que vous avez manifestée à Alger en décembre 2012 saura mettre un terme au mensonge d’Etat concernant mon mari, et je vous prie de croire à l’expression de mes sentiments respectueux.
Josette Audin
Y a-t-il eu un ordre d’assassiner Maurice Audin ?
par Guillaume Guguen, France 24, 15 janvier 2014 [1]
En métropole, l’affaire fait grand bruit et devient, après la guerre, le symbole de la pratique de la torture en Algérie. Plusieurs journalistes, historiens et proches du disparu soutiennent la thèse selon laquelle Maurice Audin aurait été tué par ses tortionnaires. D’autres affirment que l’ordre avait été donné de supprimer Alleg mais que les sous-officiers chargés de l’exécution l’ont confondu avec Audin. Depuis toutes ces années, l’armée, elle, s’en tient à son récit originel. Tandis que toutes les actions, notamment judiciaires, entreprises par Josette Audin pour faire éclater la vérité resteront sans effet.
Las, les archives de l’armée que le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, fait remettre à la veuve en janvier 2013 n’offrent aucun élément nouveau sur l’affaire. « Mme Audin disait ne pas s’attendre à trouver grand-chose dans ces documents et elle exhortait ‘ceux qui savent, et il y en a encore quelques-uns, à parler’ », indique l’enquête de Jean-Charles Deniau.
« Pour l’exemple »
Du fond de sa retraite alsacienne, Paul Aussaresses, qu’une cataracte a fini de rendre aveugle, entend l’appel. Et, sous l’impulsion de son épouse Elvire, visiblement touchée par le combat de Josette Audin, se décide à passer une dernière fois aux aveux.
Après des heures et des heures d’entretiens émaillés de longues digressions sur l’intervention française au Mali ou la mort de Margaret Thatcher (« Quelle salope, celle-là ! », lance-t-il à propos de la Dame de fer), le reporter récolte les ultimes confidences dans la demeure du général. « La vérité, c’est qu’on a tué Audin », lâche un jour l’ancien commandant de la 10e division parachutiste. Et d’ajouter, après plusieurs hésitations : « Bien sûr, j’ai obéi à Massu ». Pourquoi exécuter un jeune homme dont l’engagement dans la lutte armée était certes avéré mais somme toute limité ? interroge le journaliste. « Pour l’exemple, tranche Aussaresses. Oui, [Massu] a dit, c’est pour les faire réfléchir. Pour qu’ils s’arrêtent de faire des attentats spectaculaires. » [2]
Selon les faits rapportés par Aussaresses, Maurice Audin a été tué au couteau par l’un de ses sous-fifres, puis enterré de nuit dans l’une des fosses de la lointaine banlieue algéroise régulièrement utilisées par les hommes du général Massu. Une version que confirme, dans le livre, le sergent Pierre Misiri, un ancien para de la 10e division. Lequel essaiera même, par téléphone, de guider Jean-Charles Deniau jusqu’à l’endroit où Maurice Audin « repose ‘probablement’ avec une partie des 3 000 portés disparus durant la bataille d’Alger ».
Un récit qui n’a pas convaincu Josette Audin. Interrogée par France Inter, la veuve du militant communiste a mis en doute la validité des confessions d’Aussaresses. « Il a passé sa vie à mentir quand il ne la passait pas à tuer des Algériens. Comment croire, dans ces conditions qu’il a pu dire la vérité? »
[1] Extrait de « Mort de Maurice Audin : les aveux de la dernière heure du général Aussaresses » de Guillaume Guguen :
http://www.france24.com/fr/20140109…
[2] Voir les pages 230 et 231 du livre de Jean-Charles Deniau, La vérité sur la mort de Maurice Audin (éd. Equateurs).