L’affaire Audin, les disparus et la question des archives

par Ajma

Un film de François Demerliac : la spectaculaire reconnaissance par Macron de la responsabilité de la France dans l’assassinat de Maurice Audin prônait une ouverture des archives concernant tous ceux qui furent, comme lui, victimes du crime de disparition forcée. Or, c’est une bataille pour que soient levées de nouvelles et graves entraves à leur libre accès qui doit aujourd’hui être menée

De l’affaire Audin à la bataille pour l’ouverture des archives

par Gilles Manceron, publié le 5 juillet 2020 sur le site du Centre culturel algérien de Paris. Source

Dans cet article accordé en exclusivité au CCA-Paris, à l’occasion du 58ème anniversaire de l’Indépendance nationale, l’historien Gilles Manceron revient sur les actions initiées par des historiens des deux cotés de la Méditerranée, dont il fait partie, afin de faire la lumière sur le dossier des nombreux disparus de la Guerre d’Algérie. L’affaire Audin, du nom du militant Maurice Audin engagé pour l’indépendance de l’Algérie, disparu 1957 au cœur de la guerre de libération nationale, est le déclencheur de ces initiatives qui concernent également la question du libre accès aux archives.

En juin 1957, en plein cœur de la guerre d’indépendance algérienne, Maurice Audin, jeune mathématicien engagé pour l’indépendance de l’Algérie, âgé de 25 ans, a été enlevé par les parachutistes du général Massu chargés alors du maintien de l’ordre à Alger. Ce militant du parti communiste algérien, issu, comme sa jeune femme, Josette, d’une famille européenne d’Algérie, a subi, lors de ce qu’on a appelé la « bataille d’Alger », le même sort que plus de trois mille Algériens toujours considérés dans les faits comme des « indigènes » qui furent victimes, en six mois, de la torture et des exécutions sommaires du fait des pratiques de la division parachutiste commandée par le général Massu. Ami proche de nombreux étudiants membres de FLN, Audin se voulait pleinement Algérien.

Les autorités françaises ont prétendu que Maurice Audin s’était évadé. Autour du cas de ce scientifique qui était sur le point de soutenir sa thèse de mathématiques à Paris, l’affaire Audin a été, grâce à l’engagement de Josette, de ses professeurs et d’intellectuels français, l’occasion en France d’une mobilisation pour exiger la vérité sur son sort et contre les méthodes barbares employées par l’armée française pour combattre la guerre d’indépendance algérienne.

Depuis 1957, ce combat n’a jamais cessé. En mars 2014, après la publication d’un livre relatant les confidences tardives du général Aussaresses disant que l’ordre de l’assassiner avait été donné par le général Massu, un appel signé de 171 personnalités a été publié par les quotidiens L’Humanité et Mediapart demandant qu’on dise enfin la vérité. Pour la première fois, le 18 juin 2014, François Hollande, président de la République, a déclaré que Maurice Audin ne s’est pas évadé et était mort durant sa détention. Il a été le premier président à reconnaitre ces faits et donc le mensonge des autorités françaises pendant près de 60 ans.

En juin 2017, pour le soixantième anniversaire de sa disparition, des personnalités ont demandé de nouveau au président de la République, Emmanuel Macron, que la vérité sur cet assassinat et toutes les disparitions forcées soit enfin reconnue. Un rassemblement a eu lieu à la Place Maurice Audin, à Paris, dans le 5e arrondissement, répété en juin 2018. Cédric Villani, lui-même mathématicien, président du jury du Prix Maurice Audin de mathématiques, ami de l’Algérie et proche, alors, du président de la République, s’est associé à ces demandes.

C’est dans ces conditions que, sollicité par la famille Audin, le journal l’Humanité et une jeune génération de journalistes et d’historiennes, Emmanuel Macron, conseillé par des personnes attentives à leur démarche, a rendu visite le 13 septembre 2018 à Josette Audin pour reconnaître la responsabilité de la République française dans l’assassinat de son mari, et il a publié une déclaration disant que celui-ci s’est produit dans le cadre d’un système où la torture et les disparitions forcées étaient largement pratiquées. Il a déclaré aussi qu’il fallait ouvrir les archives à ce sujet.

Cette déclaration n’a pas plu à tout le monde. Une fraction vieillissante et réactionnaire de l’armée française a protesté. Un organisme opaque et discret, le SGDSN, Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, a réagi en mettant en place, au contraire, une fermeture des archives. Ce qui a suscité une forte mobilisation des historiens et des archivistes. Une journée d’étude largement suivie a été organisée le 20 septembre 2019, dans la salle Victor Hugo de l’Assemblée nationale, par de nombreuses associations et institutions universitaires, soutenue aussi par le Centre culturel algérien, sur « Les disparus de la guerre d’Algérie du fait des forces de l’ordre françaises », portant notamment sur la question des archives.

Des articles sont parus dans la presse. Le 21 juin 2020, une lettre a été envoyée au premier ministre par des associations d’historiens, d’archivistes et l’Association Josette et Maurice Audin, pour lui demander d’abroger le texte administratif — dénommé « IGI 1300 » —, qui outrepasse la loi en vigueur et organise cette fermeture. Elles ont décidé de porter, s’il le faut, l’affaire devant le conseil d’Etat pour que cette question du libre accès aux archives soit définitivement tranchée.

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